Congé annulable contraire aux règles de la bonne foi
Base légale
- Art. 271 al. 1 CO
- Art. 271a al. 1 litt. a CO
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
12.11.2001
Résumé
Un congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi, notamment parce que la locataire fait valoir, de bonne foi, des prétentions découlant du bail. Ne constitue pas un congé de représailles celui qui a été donné par le bailleur alors que la locataire a présenté une demande de sous-location et que les faits attestent que la locataire n'a plus l'intention d'occuper personnellement l'appartement.
Exposé des faits
Les parties sont liées depuis le 18 novembre 1986 par un contrat de bail
à loyer portant sur la location d'un appartement de 5 pièces sis au
3ème étage d'un immeuble rue x.
En date du 22 novembre 1999, la
locataire et son compagnon ont signé un autre bail à loyer portant sur
la location d'un appartement de 7 pièces situé au 6ème étage d'un
immeuble rue y.
Sans en informer les bailleurs, la locataire a
déménagé de l'appartement de l'immeuble rue x et a autorisé deux enfants
de ses connaissances à lui succéder dans son logement. Le 4 février
2000, un locataire de l'immeuble de la rue x a écrit aux bailleurs pour
lui signaler le départ de la locataire et que le bruit courait dans le
quartier que le logement allait être reloué à "trois jeunes".
Les
bailleurs ont alors écrit, le 17 février, à la locataire pour lui
signaler qu'ils avaient été informés de son déménagement et de son
intention probable de sous-louer l'appartement, mode de faire auquel
elle s'opposait formellement, de sorte que l'intéressée était invitée à
confirmer la résiliation de son contrat de bail.
Le 22 mars 2000, les bailleurs ont notifié à la locataire un avis de résiliation de son bail pour son échéance.
Saisie
d'un recours de la locataire contre la résiliation du 22 mars 2000, la
Commission de conciliation en matière de baux et loyers a, le 4
septembre 2000, rendu une décision déclarant le congé valable et
déboutant la locataire de ses conclusions en annulation de congé et en
prolongation de bail.
Considérations
2. Il n'est pas contesté que le congé litigieux est un congé ordinaire
qui a été donné pour l'échéance du bail, dans le respect des délais
contractuels et selon les formes prévues par la loi.
a) Un congé
est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271
al. 1 CO), notamment parce que le locataire fait valoir, de bonne foi,
des prétentions découlant du bail (art. 271a al. 1 litt. a CO).
Toute
résiliation qui ne repose sur aucun intérêt digne de protection, qui
consacre une attitude déloyale, qui résulte d'une disproportion
manifeste entre les intérêts en présence ou dont le motif est
manifestement un prétexte, tombe sous le coup de l'art. 271 al. 1 CO
(Lachat, Le bail à loyer, 1997, p. 470 No 4.1 et les références
jurisprudentielles et doctrinales citées). Les congés ordinaires, ou
extraordinaires, visant à sanctionner une violation du contrat par le
locataire ou à rétablir la paix dans l'immeuble, ne sont, en principe,
pas abusifs (Lachat, op. cit., p. 473 No 4.6). S'agissant du congé de
représailles (art. 271a al. 1 litt. a CO), le locataire doit démontrer
qu'il existe un rapport de causalité entre sa prétention et la
résiliation. Cette disposition n'est toutefois pas applicable lorsque le
locataire a fait valoir ses droits de mauvaise foi.
La notion de
bonne foi au sens de l'art. 271 al. 1 CO est plus large que celle de
l'art. 2 al. 2 CC et ne se confond pas avec les justes motifs des art.
257f ou 266g CO (Barbey, Commentaire du droit du bail, 1991, No 30-39).
Il s'agit plutôt d'une référence à un ensemble de valeurs
extra-juridiques déduites de la sociologie et de la morale, auxquelles
le droit ne permet pas qu'il soit dérogé. Pour les appréhender, le juge
doit partir des normes généralement admises par la société puis, parmi
elles, sélectionner celles qui sont pertinentes, à la lumière des règles
morales que l'ordre juridique entend consacrer (Barbey, op, cit., No
43b).
b) En l'espèce, l'intimée justifie le congé litigieux par
la violation des règles concernant la sous-location, les inconvénients
majeurs que présenterait pour elle une telle sous-location, ainsi que
son besoin des locaux pour des locataires de l'immeuble et le concierge
du bâtiment.
Pour sa part, l'appelante invoque le bien-fondé de sa
demande d'autorisation de sous-location et le caractère de représailles
du congé qui lui a été notifié parce qu'elle a sollicité une telle
autorisation.
Il apparaît que l'appartement litigieux, occupé par
l'appelante avec ses trois enfants mineurs et son concubin, se trouvait
dans un état précaire et dans un immeuble dépourvu de confort, en
particulier sans chauffage central et sans ascenseur. C. D., qui
cherchait depuis longtemps un appartement plus grand, plus moderne et
plus confortable, a trouvé un tel logement à la rue y au mois de
novembre 1999, ce qui l'a amenée à conclure, le 22 du même mois, un
contrat de bail avec la CIA d'une durée de 23 mois, soit jusqu'à fin
2001, le bail se renouvelant ensuite d'année en année. Sans en informer
l'intimée, C. D. a déménagé au début du mois de février 2000 dans son
nouvel appartement de la rue y. L'appelante a admis qu'elle désirait
"pouvoir faire occuper" l'appartement de la rue x par son fils aîné,
lorsque celui-ci serait majeur, soit en 2002. Dans l'intervalle, elle a
sous-loué ledit appartement à trois enfants de connaissances.
Dans
ses conditions, force est de constater – bien qu'elle affirme le
contraire dans ses écritures d'appel – que l'appelante n'a plus aucune
intention d'occuper personnellement l'appartement de la rue x. En
réalité, C. D. souhaite simplement conserver cet appartement jusqu'à la
majorité de son fils afin que celui-ci puisse l'occuper, et, dans
l'intervalle, l'a sous-loué. L'appelante ayant ainsi définitivement
exclu de revenir vivre dans les locaux litigieux, on doit admettre,
compte tenu du caractère nécessairement provisoire de la sous-location,
que C. D. n'a pas pu conclure un contrat de cette nature (Rollini, Le
caractère provisoire de la sous-location et les limites imposées en la
matière au locataire, in Cahiers du bail (CdB) 1995 p. 14 ss; Lachat,
op. cit., p. 378 No 2.1; moins explicite, ATF non publié du 11.10.1994,
in SJ 1995 p. 229).
A tout le moins, on doit considérer, en
l'occurrence, que les prétentions de l'appelante concernant la
sous-location de l'appartement de la rue x sont contraires aux règles de
la bonne foi, de sorte que, de ce point de vue, le congé litigieux, en
tant qu'il a été donné parce que C. D. n'avait plus l'intention
d'occuper personnellement les locaux, ne constitue pas un congé de
représailles et ne contrevient en rien aux règles de la bonne foi.
c) Admettrait-on
que c'est de bonne foi que l'appelante a sollicité l'autorisation de
sous-louer l'appartement de la rue x que l'on devrait, malgré tout,
considérer que c'est à bon droit que l'intimée a refusé l'autorisation
de sous-louer l'appartement litigieux.
c a) A teneur de l'art. 262
al. 1 CO, le locataire ne peut sous-louer tout ou partie de la chose
qu'avec le consentement du bailleur, ce qui implique que ce consentement
doit être requis avant la conclusion du contrat de sous-location
(ACJ/365/95 du 27.3.1995, D. c/ R. p. 6).
Contrairement à ce qu'elle
indique pour la première fois dans ses écritures d'appel – ce qui, au
demeurant, rend irrecevables ses conclusions subsidiaires de prouver par
témoin ses allégués sur ce point, ceux-ci n'étant pas nouveaux et
n'ayant pas été évoqués en première instance (SJ 1929 p. 496, 1955 p.
28; Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmid, Commentaire de la loi de procédure
civile genevoise, No 7-8 ad art. 312) -, l'appelante a déménagé dans son
nouvel appartement de la rue y, non pas à la fin du mois de février
2000, mais au début de ce mois: C. D. l'a admis tant devant la
Commission de conciliation en matière de baux et loyers que devant les
premiers juges – ce qui, par ailleurs, constitue un motif supplémentaire
de ne pas entendre de témoin sur ce point – et la lettre qu'un
locataire de l'immeuble a adressée le 14 février 2000 à la régie D.
l'atteste également.
Par ailleurs, l'appelante a elle-même reconnu
devant la Commission de conciliation la présence de P. B., N. C. et
J.-T. M. dans l'appartement litigieux durant le mois de février 2000.
De
surcroît, le 6 mars 2000 la régie D. a été informée par un locataire de
l'immeuble que le week-end précédent, quatre jeunes gens avaient fait
"des travaux de peinture et la java" dans l'appartement litigieux.
Il
découle ainsi de ce qui précède qu'en février 2000 C. D. avait déjà
conclu avec ces trois jeunes gens un contrat de sous-location, tant il
est manifeste que ces derniers n'auraient pas effectué des travaux dans
l'appartement s'ils n'avaient pas eu l'assurance de l'appelante de
pouvoir y habiter.
Or, ce n'est que le 6 mars 2000, c'est-à-dire
postérieurement, que C. D. a sollicité de la régie D. l'autorisation de
sous-louer. En procédant de la sorte, elle a mis la bailleresse devant
le fait accompli, ce qui contrevient à l'art. 262 al. 1 CO précité.
La décision du Tribunal sur ce point ne peut, dès lors, qu'être confirmée.
Décision
36/5 - Congé annulable contraire aux règles de la bonne foi