Congé annulable contraire aux règles de la bonne foi

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

12.11.2001

Résumé

Un congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi, notamment parce que la locataire fait valoir, de bonne foi, des prétentions découlant du bail. Ne constitue pas un congé de représailles celui qui a été donné par le bailleur alors que la locataire a présenté une demande de sous-location et que les faits attestent que la locataire n'a plus l'intention d'occuper personnellement l'appartement.

Exposé des faits

Les parties sont liées depuis le 18 novembre 1986 par un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 5 pièces sis au 3ème étage d'un immeuble rue x.
En date du 22 novembre 1999, la locataire et son compagnon ont signé un autre bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 7 pièces situé au 6ème étage d'un immeuble rue y.
Sans en informer les bailleurs, la locataire a déménagé de l'appartement de l'immeuble rue x et a autorisé deux enfants de ses connaissances à lui succéder dans son logement. Le 4 février 2000, un locataire de l'immeuble de la rue x a écrit aux bailleurs pour lui signaler le départ de la locataire et que le bruit courait dans le quartier que le logement allait être reloué à "trois jeunes".
Les bailleurs ont alors écrit, le 17 février, à la locataire pour lui signaler qu'ils avaient été informés de son déménagement et de son intention probable de sous-louer l'appartement, mode de faire auquel elle s'opposait formellement, de sorte que l'intéressée était invitée à confirmer la résiliation de son contrat de bail.
Le 22 mars 2000, les bailleurs ont notifié à la locataire un avis de résiliation de son bail pour son échéance.
Saisie d'un recours de la locataire contre la résiliation du 22 mars 2000, la Commission de conciliation en matière de baux et loyers a, le 4 septembre 2000, rendu une décision déclarant le congé valable et déboutant la locataire de ses conclusions en annulation de congé et en prolongation de bail.

Considérations

2. Il n'est pas contesté que le congé litigieux est un congé ordinaire qui a été donné pour l'échéance du bail, dans le respect des délais contractuels et selon les formes prévues par la loi.

a) Un congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO), notamment parce que le locataire fait valoir, de bonne foi, des prétentions découlant du bail (art. 271a al. 1 litt. a CO).
Toute résiliation qui ne repose sur aucun intérêt digne de protection, qui consacre une attitude déloyale, qui résulte d'une disproportion manifeste entre les intérêts en présence ou dont le motif est manifestement un prétexte, tombe sous le coup de l'art. 271 al. 1 CO (Lachat, Le bail à loyer, 1997, p. 470 No 4.1 et les références jurisprudentielles et doctrinales citées). Les congés ordinaires, ou extraordinaires, visant à sanctionner une violation du contrat par le locataire ou à rétablir la paix dans l'immeuble, ne sont, en principe, pas abusifs (Lachat, op. cit., p. 473 No 4.6). S'agissant du congé de représailles (art. 271a al. 1 litt. a CO), le locataire doit démontrer qu'il existe un rapport de causalité entre sa prétention et la résiliation. Cette disposition n'est toutefois pas applicable lorsque le locataire a fait valoir ses droits de mauvaise foi.
La notion de bonne foi au sens de l'art. 271 al. 1 CO est plus large que celle de l'art. 2 al. 2 CC et ne se confond pas avec les justes motifs des art. 257f ou 266g CO (Barbey, Commentaire du droit du bail, 1991, No 30-39). Il s'agit plutôt d'une référence à un ensemble de valeurs extra-juridiques déduites de la sociologie et de la morale, auxquelles le droit ne permet pas qu'il soit dérogé. Pour les appréhender, le juge doit partir des normes généralement admises par la société puis, parmi elles, sélectionner celles qui sont pertinentes, à la lumière des règles morales que l'ordre juridique entend consacrer (Barbey, op, cit., No 43b).

b) En l'espèce, l'intimée justifie le congé litigieux par la violation des règles concernant la sous-location, les inconvénients majeurs que présenterait pour elle une telle sous-location, ainsi que son besoin des locaux pour des locataires de l'immeuble et le concierge du bâtiment.
Pour sa part, l'appelante invoque le bien-fondé de sa demande d'autorisation de sous-location et le caractère de représailles du congé qui lui a été notifié parce qu'elle a sollicité une telle autorisation.
Il apparaît que l'appartement litigieux, occupé par l'appelante avec ses trois enfants mineurs et son concubin, se trouvait dans un état précaire et dans un immeuble dépourvu de confort, en particulier sans chauffage central et sans ascenseur. C. D., qui cherchait depuis longtemps un appartement plus grand, plus moderne et plus confortable, a trouvé un tel logement à la rue y au mois de novembre 1999, ce qui l'a amenée à conclure, le 22 du même mois, un contrat de bail avec la CIA d'une durée de 23 mois, soit jusqu'à fin 2001, le bail se renouvelant ensuite d'année en année. Sans en informer l'intimée, C. D. a déménagé au début du mois de février 2000 dans son nouvel appartement de la rue y. L'appelante a admis qu'elle désirait "pouvoir faire occuper" l'appartement de la rue x par son fils aîné, lorsque celui-ci serait majeur, soit en 2002. Dans l'intervalle, elle a sous-loué ledit appartement à trois enfants de connaissances.
Dans ses conditions, force est de constater – bien qu'elle affirme le contraire dans ses écritures d'appel – que l'appelante n'a plus aucune intention d'occuper personnellement l'appartement de la rue x. En réalité, C. D. souhaite simplement conserver cet appartement jusqu'à la majorité de son fils afin que celui-ci puisse l'occuper, et, dans l'intervalle, l'a sous-loué. L'appelante ayant ainsi définitivement exclu de revenir vivre dans les locaux litigieux, on doit admettre, compte tenu du caractère nécessairement provisoire de la sous-location, que C. D. n'a pas pu conclure un contrat de cette nature (Rollini, Le caractère provisoire de la sous-location et les limites imposées en la matière au locataire, in Cahiers du bail (CdB) 1995 p. 14 ss; Lachat, op. cit., p. 378 No 2.1; moins explicite, ATF non publié du 11.10.1994, in SJ 1995 p. 229).
A tout le moins, on doit considérer, en l'occurrence, que les prétentions de l'appelante concernant la sous-location de l'appartement de la rue x sont contraires aux règles de la bonne foi, de sorte que, de ce point de vue, le congé litigieux, en tant qu'il a été donné parce que C. D. n'avait plus l'intention d'occuper personnellement les locaux, ne constitue pas un congé de représailles et ne contrevient en rien aux règles de la bonne foi.

c) Admettrait-on que c'est de bonne foi que l'appelante a sollicité l'autorisation de sous-louer l'appartement de la rue x que l'on devrait, malgré tout, considérer que c'est à bon droit que l'intimée a refusé l'autorisation de sous-louer l'appartement litigieux.
c a) A teneur de l'art. 262 al. 1 CO, le locataire ne peut sous-louer tout ou partie de la chose qu'avec le consentement du bailleur, ce qui implique que ce consentement doit être requis avant la conclusion du contrat de sous-location (ACJ/365/95 du 27.3.1995, D. c/ R. p. 6).
Contrairement à ce qu'elle indique pour la première fois dans ses écritures d'appel – ce qui, au demeurant, rend irrecevables ses conclusions subsidiaires de prouver par témoin ses allégués sur ce point, ceux-ci n'étant pas nouveaux et n'ayant pas été évoqués en première instance (SJ 1929 p. 496, 1955 p. 28; Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmid, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, No 7-8 ad art. 312) -, l'appelante a déménagé dans son nouvel appartement de la rue y, non pas à la fin du mois de février 2000, mais au début de ce mois: C. D. l'a admis tant devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers que devant les premiers juges – ce qui, par ailleurs, constitue un motif supplémentaire de ne pas entendre de témoin sur ce point – et la lettre qu'un locataire de l'immeuble a adressée le 14 février 2000 à la régie D. l'atteste également.
Par ailleurs, l'appelante a elle-même reconnu devant la Commission de conciliation la présence de P. B., N. C. et J.-T. M. dans l'appartement litigieux durant le mois de février 2000.
De surcroît, le 6 mars 2000 la régie D. a été informée par un locataire de l'immeuble que le week-end précédent, quatre jeunes gens avaient fait "des travaux de peinture et la java" dans l'appartement litigieux.
Il découle ainsi de ce qui précède qu'en février 2000 C. D. avait déjà conclu avec ces trois jeunes gens un contrat de sous-location, tant il est manifeste que ces derniers n'auraient pas effectué des travaux dans l'appartement s'ils n'avaient pas eu l'assurance de l'appelante de pouvoir y habiter.
Or, ce n'est que le 6 mars 2000, c'est-à-dire postérieurement, que C. D. a sollicité de la régie D. l'autorisation de sous-louer. En procédant de la sorte, elle a mis la bailleresse devant le fait accompli, ce qui contrevient à l'art. 262 al. 1 CO précité.
La décision du Tribunal sur ce point ne peut, dès lors, qu'être confirmée.

Décision

36/5 - Congé annulable contraire aux règles de la bonne foi

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