Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève
17.07.2013
La bailleresse a principalement motivé son congé par la nouvelle politique locataire de l'immeuble, expliquant qu'elle avait toujours souhaité avoir dans ses immeubles des locataires actifs dans le domaine de la finance uniquement. Si la bailleresse avait eu l'idée de pratiquer une telle politique locative dès l'acquisition de l'immeuble, elle n'aurait pas attendu quatre ans pour la mettre en œuvre alors qu'un seul locataire était concerné.
4. L’appelante soutient que le congé notifié à l’intimé n’est pas contraire aux règles de la bonne foi et doit être validé.
4.1 En vertu de l’art. 271 al. 2 CO, un congé est annulable lorsqu’il contrevient aux règles de la bonne foi.
Le
but de la réglementation des art. 271 et 271a CO est uniquement de
protéger le locataire contre des résiliations abusives et n’exclut pas
un congé même si l’intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus
important que celui du bailleur à ce qu’il prenne fin ; seule une
disproportion manifeste des intérêts en jeu, due au défaut d’intérêt
digne de protection du bailleur, peut rendre une résiliation abusive
(ACJC/1292/2008 du 3 novembre 2008 ; Arrêt du Tribunal fédéral
4A.322/2007 du 12 novembre 2007 consid. 6 ; LACHAT, op. cit., n° 6 ad
art. 271 CO). La notion de bonne foi ne se confond pas avec les justes
motifs des art. 257f ou 266g CO (BARBEY, Commentaire du droit du bail,
nos 30-39) ; il s’agit plutôt d’une référence à un ensemble de valeurs
extra juridiques déduites de la sociologie et de la morale, auxquelles
le droit ne permet pas qu’il soit dérogé. Pour les appréhender, le juge
doit partir des normes généralement admises par la société puis, parmi
elles, sélectionner celles qui sont pertinentes à la lumière des règles
morales que l’ordre juridique entend consacrer (BARBEY, op. cit., n°
43b). Est contraire aux règles de la bonne foi une résiliation qui ne
correspond à aucun intérêt digne de protection et apparaît comme une
chicane, ainsi qu’un congé qui consacre une attitude déloyale (LACHAT,
op. cit., p. 733). La motivation du congé qui ne constitue pas une
condition de sa validité ; l’absence de motivation véridique ou complète
peut toutefois constituer un indice que le motif réel du congé est
contraire à la bonne foi (ATF 125 III 231 consid. 4b ; BARBEY, op. cit.,
nos 290 et 319 ; Commentaire USPI, n° 26 ad art. 271 CO). S’il est par
contre admis que le motif réel de la résiliation, qui seul entre en
considération, était légitime, le congé ne peut être annulé, puisque
seul le mensonge qui masque un dessein abusif justifie l’application de
l’art. 271 al. 1 CO (Arrêt du Tribunal fédéral 4C.85/2006 du 24 juillet
2006, consid. 2.1.2).
Le congé donné en raison du besoin du bailleur
pour lui-même, ses proches ou des tiers, n’est généralement pas
contraire à la bonne foi (LACHAT, op. cit., n° 8 ad art. 271 CO). Le
fait qu’un bailleur soit propriétaire de plusieurs immeubles n’implique
pas nécessairement que la résiliation d’un contrat de bail pour loger un
membre de sa famille soit contraire aux règles de la bonne foi
(TERCIER/FAVRE/BUGNON, Les contrats spéciaux, 2009, n° 2710, p. 399).
N’est
pas contraire à la bonne foi le congé donné par le bailleur en vue de
loger sa fille qui souhaite entreprendre des études, mais dont les
projets ne sont pas encore définis. On ne saurait imposer à un
propriétaire d’attendre le moment où le besoin est immédiat, sachant le
temps habituellement nécessaire pour récupérer effectivement un
appartement à partir de la résiliation (ACJC/253/1992 du 9 octobre
1992).
N’est de même pas contraire aux règles de bonne foi le congé
donné par le bailleur en vue de mettre le logement à disposition de sa
fille laquelle vient de l’étranger s’installer à Genève en vue de
poursuivre sa formation (Arrêt du Tribunal fédéral 4A.46/2010 du 27
avril 2010 consid. 5.2).
Par ailleurs, le bien-fondé de la
résiliation doit être apprécié au moment où son auteur manifeste sa
volonté de mettre un terme au contrat (DB 2006 p. 42 ; LACHAT, op. cit.,
n° 12 ad art. 271 CO).
La partie qui demande l’annulation du congé
doit à tout le moins rendre vraisemblable la mauvaise foi de sa partie
adverse (Arrêt du Tribunal fédéral 4A.472/2007 du 11 mars 2008, consid.
2.1 ; Arrêt du Tribunal fédéral 4C./443/2006 du 5 avril 2007 consid.
4.1.2 ; ATF 120 II 105 consid. 3c), alors que la partie qui a résilié le
bail a le devoir de contribuer loyalement à la manifestation de la
vérité en fournissant tous les éléments en sa possession, nécessaires à
la vérification du motif invoqué par elle (Arrêt du Tribunal fédéral
4A.472/2007 du 11 mars 2008 consid. 2.1). Il n’appartient pas au
bailleur de démontrer sa bonne foi car cela reviendrait à renverser le
fardeau de la preuve (ACJC/334/2002 du 18 mars 2002 ; BARBEY, Protection
contre les congés concernant les baux d’habitation et de locaux
commerciaux, thèse, Genève, 1991, n° 202). Il appartient au locataire
qui conteste un congé estimé abusif de prouver l’abus à satisfaction de
droit. Faute de preuve, le congé est valable (Commentaire USPI, n° 10 ad
art. 271 CO).
4.2 En l’espèce, l’appelante a principalement motivé son congé par la
nouvelle politique locative de l’immeuble, expliquant qu’elle avait
toujours souhaité avoir dans ses immeubles, sauf pour les arcades sises
au rez-de-chaussée, des locataires actifs dans le domaine de la finance
uniquement.
Toutefois, la véracité et le bien-fondé du motif invoqué
paraissent sujets à caution au vu des éléments du dossier. En effet,
l’appelante a attendu quatre ans après l’acquisition de l’immeuble pour
mettre en place cette politique locative. Si l’appelante avait eu l’idée
de pratiquer une telle politique locative dès l’acquisition de
l’immeuble, elle n’aurait pas entendu aussi longtemps pour la mettre en
œuvre alors qu’un seul locataire, l’intimé, était concerné.
Le peu de
crédit qu’il y a lieu de donner à la thèse de l’appelante est renforcé
par le fait qu’elle a attendu plus longtemps encore avant de résilier le
bail de A, autre locataire de l’immeuble non actif dans le domaine
financier et avec lequel elle avait également eu un litige, sans pouvoir
démontrer à satisfaction de droit qu’elle aurait été empêchée de le
faire plus tôt.
Le motif du congé n’est ainsi pas celui allégué d’un
soudain souci de mettre en œuvre une politique locative décidée de
longue date. L’appelante cherche en réalité à se débarrasser d’un
locataire gênant qui a plusieurs fois fait valoir avec succès des
prétentions découlant de son bail.
A cela s’ajoute encore que
l’intimé a proposé, en mars 2009, de restituer les locaux litigieux de
manière anticipée, moyennant le paiement d’une indemnité de départ de
fr. 400 000.–. Or, si l’appelante avait été soucieuse de mette en œuvre
rapidement la politique locative qu’elle invoque aujourd’hui, elle
aurait saisi l’occasion que lui offrait l’intimé pour reprendre
possession des locaux et les relouer à un locataire travaillant dans le
domaine financier.
Pour le surplus, l’appelante reconnaissant que
les exemples de loyers comparatifs qu’elle a versés à la procédure ne
satisfont pas eux exigences posées par la jurisprudence en la matière,
il ne sera pas nécessaire d’examiner si le motif subsidiaire invoqué par
elle à l’appui de la résiliation de bail est valable.
4.3 Compte tenu des développements qui précèdent, l’appel sera rejeté et le jugement entrepris confirmé.
54/10 - Congé annulable contraire aux règles de la bonne foi