Congé annulable contraire aux règles de la bonne foi

Base légale

Nom du tribunal

Arrêt de la chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

17.07.2013

Résumé

La bailleresse a principalement motivé son congé par la nouvelle politique locataire de l'immeuble, expliquant qu'elle avait toujours souhaité avoir dans ses immeubles des locataires actifs dans le domaine de la finance uniquement. Si la bailleresse avait eu l'idée de pratiquer une telle politique locative dès l'acquisition de l'immeuble, elle n'aurait pas attendu quatre ans pour la mettre en œuvre alors qu'un seul locataire était concerné.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer portant sur une surface de bureaux d'environ 140 m2 au 6ème étage d'un immeuble sis à X. Le bail fut conclu pour une durée initiale de cinq ans, soit du 1er juin 1996 au 31 mai 2001, puis s'est renouvelé tacitement de cinq ans et cinq ans, sauf résiliation donnée avec un préavis de douze mois. Les locaux sont destinés à l'usage d'un cabinet de physiothérapie.
Le 16 novembre 2007, le locataire a contesté le décompte de charges pour la période du 1er juillet 2006 au 30 juin 2007, expliquant que les fr. 1800.– dont il s'acquittait représentaient un montant forfaitaire. Un changement de propriétaire est intervenu le 10 octobre 2006 et la bailleresse a affirmé que le montant prévu constituait un acompte provisionnel.
Le 7 décembre 2009, la bailleresse a réclamé au locataire le paiement de fr. 2725.30 à titre de « frais annuels de chauffage/eau chaude/électricité et d'entretien » pour la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2009. Le locataire a à nouveau refusé de s'en acquitter, tout en exigeant, en sus d'un décompte détaillé, la clé de répartition. Le locataire ne s'est pas acquitté des montants qui lui étaient réclamés, sans toutefois que la bailleresse n'entreprenne de démarches en vue de tenter de les recouvrer.
Par avis officiel de résiliation du 26 mai 2010, la bailleresse a résilié le contrat du locataire pour son échéance fixée au 31 mai 2011, sans indication de motifs. Par courrier du 4 août 2010, la bailleresse a justifié cette décision par son "changement de politique locative de l'immeuble", le locataire étant le seul à exercer une activité de type médical, les autres locataires étant actifs dans le domaine de la finance; elle a précisé qu'elle envisageait de réunir les locaux du locataire à ceux d'un autre locataire, exerçant dans le domaine de la finance.
Le 21 juin 2010, le locataire a contesté ce congé auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers. La cause a été portée devant le Tribunal des baux et loyers qui a rendu un jugement le 27 août 2012, concluant à l'annulation du congé notifié au locataire. La bailleresse a interjeté appel de ce jugement.

Considérations

4. L’appelante soutient que le congé notifié à l’intimé n’est pas contraire aux règles de la bonne foi et doit être validé.

4.1 En vertu de l’art. 271 al. 2 CO, un congé est annulable lorsqu’il contrevient aux règles de la bonne foi.
Le but de la réglementation des art. 271 et 271a CO est uniquement de protéger le locataire contre des résiliations abusives et n’exclut pas un congé même si l’intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu’il prenne fin ; seule une disproportion manifeste des intérêts en jeu, due au défaut d’intérêt digne de protection du bailleur, peut rendre une résiliation abusive (ACJC/1292/2008 du 3 novembre 2008 ; Arrêt du Tribunal fédéral 4A.322/2007 du 12 novembre 2007 consid. 6 ; LACHAT, op. cit., n° 6 ad art. 271 CO). La notion de bonne foi ne se confond pas avec les justes motifs des art. 257f ou 266g CO (BARBEY, Commentaire du droit du bail, nos 30-39) ; il s’agit plutôt d’une référence à un ensemble de valeurs extra juridiques déduites de la sociologie et de la morale, auxquelles le droit ne permet pas qu’il soit dérogé. Pour les appréhender, le juge doit partir des normes généralement admises par la société puis, parmi elles, sélectionner celles qui sont pertinentes à la lumière des règles morales que l’ordre juridique entend consacrer (BARBEY, op. cit., n° 43b). Est contraire aux règles de la bonne foi une résiliation qui ne correspond à aucun intérêt digne de protection et apparaît comme une chicane, ainsi qu’un congé qui consacre une attitude déloyale (LACHAT, op. cit., p. 733). La motivation du congé qui ne constitue pas une condition de sa validité ; l’absence de motivation véridique ou complète peut toutefois constituer un indice que le motif réel du congé est contraire à la bonne foi (ATF 125 III 231 consid. 4b ; BARBEY, op. cit., nos 290 et 319 ; Commentaire USPI, n° 26 ad art. 271 CO). S’il est par contre admis que le motif réel de la résiliation, qui seul entre en considération, était légitime, le congé ne peut être annulé, puisque seul le mensonge qui masque un dessein abusif justifie l’application de l’art. 271 al. 1 CO (Arrêt du Tribunal fédéral 4C.85/2006 du 24 juillet 2006, consid. 2.1.2).
Le congé donné en raison du besoin du bailleur pour lui-même, ses proches ou des tiers, n’est généralement pas contraire à la bonne foi (LACHAT, op. cit., n° 8 ad art. 271 CO). Le fait qu’un bailleur soit propriétaire de plusieurs immeubles n’implique pas nécessairement que la résiliation d’un contrat de bail pour loger un membre de sa famille soit contraire aux règles de la bonne foi (TERCIER/FAVRE/BUGNON, Les contrats spéciaux, 2009, n° 2710, p. 399).
N’est pas contraire à la bonne foi le congé donné par le bailleur en vue de loger sa fille qui souhaite entreprendre des études, mais dont les projets ne sont pas encore définis. On ne saurait imposer à un propriétaire d’attendre le moment où le besoin est immédiat, sachant le temps habituellement nécessaire pour récupérer effectivement un appartement à partir de la résiliation (ACJC/253/1992 du 9 octobre 1992).
N’est de même pas contraire aux règles de bonne foi le congé donné par le bailleur en vue de mettre le logement à disposition de sa fille laquelle vient de l’étranger s’installer à Genève en vue de poursuivre sa formation (Arrêt du Tribunal fédéral 4A.46/2010 du 27 avril 2010 consid. 5.2).
Par ailleurs, le bien-fondé de la résiliation doit être apprécié au moment où son auteur manifeste sa volonté de mettre un terme au contrat (DB 2006 p. 42 ; LACHAT, op. cit., n° 12 ad art. 271 CO).
La partie qui demande l’annulation du congé doit à tout le moins rendre vraisemblable la mauvaise foi de sa partie adverse (Arrêt du Tribunal fédéral 4A.472/2007 du 11 mars 2008, consid. 2.1 ; Arrêt du Tribunal fédéral 4C./443/2006 du 5 avril 2007 consid. 4.1.2 ; ATF 120 II 105 consid. 3c), alors que la partie qui a résilié le bail a le devoir de contribuer loyalement à la manifestation de la vérité en fournissant tous les éléments en sa possession, nécessaires à la vérification du motif invoqué par elle (Arrêt du Tribunal fédéral 4A.472/2007 du 11 mars 2008 consid. 2.1). Il n’appartient pas au bailleur de démontrer sa bonne foi car cela reviendrait à renverser le fardeau de la preuve (ACJC/334/2002 du 18 mars 2002 ; BARBEY, Protection contre les congés concernant les baux d’habitation et de locaux commerciaux, thèse, Genève, 1991, n° 202). Il appartient au locataire qui conteste un congé estimé abusif de prouver l’abus à satisfaction de droit. Faute de preuve, le congé est valable (Commentaire USPI, n° 10 ad art. 271 CO).

4.2 En l’espèce, l’appelante a principalement motivé son congé par la nouvelle politique locative de l’immeuble, expliquant qu’elle avait toujours souhaité avoir dans ses immeubles, sauf pour les arcades sises au rez-de-chaussée, des locataires actifs dans le domaine de la finance uniquement.
Toutefois, la véracité et le bien-fondé du motif invoqué paraissent sujets à caution au vu des éléments du dossier. En effet, l’appelante a attendu quatre ans après l’acquisition de l’immeuble pour mettre en place cette politique locative. Si l’appelante avait eu l’idée de pratiquer une telle politique locative dès l’acquisition de l’immeuble, elle n’aurait pas entendu aussi longtemps pour la mettre en œuvre alors qu’un seul locataire, l’intimé, était concerné.
Le peu de crédit qu’il y a lieu de donner à la thèse de l’appelante est renforcé par le fait qu’elle a attendu plus longtemps encore avant de résilier le bail de A, autre locataire de l’immeuble non actif dans le domaine financier et avec lequel elle avait également eu un litige, sans pouvoir démontrer à satisfaction de droit qu’elle aurait été empêchée de le faire plus tôt.
Le motif du congé n’est ainsi pas celui allégué d’un soudain souci de mettre en œuvre une politique locative décidée de longue date. L’appelante cherche en réalité à se débarrasser d’un locataire gênant qui a plusieurs fois fait valoir avec succès des prétentions découlant de son bail.
A cela s’ajoute encore que l’intimé a proposé, en mars 2009, de restituer les locaux litigieux de manière anticipée, moyennant le paiement d’une indemnité de départ de fr. 400 000.–. Or, si l’appelante avait été soucieuse de mette en œuvre rapidement la politique locative qu’elle invoque aujourd’hui, elle aurait saisi l’occasion que lui offrait l’intimé pour reprendre possession des locaux et les relouer à un locataire travaillant dans le domaine financier.
Pour le surplus, l’appelante reconnaissant que les exemples de loyers comparatifs qu’elle a versés à la procédure ne satisfont pas eux exigences posées par la jurisprudence en la matière, il ne sera pas nécessaire d’examiner si le motif subsidiaire invoqué par elle à l’appui de la résiliation de bail est valable.

4.3 Compte tenu des développements qui précèdent, l’appel sera rejeté et le jugement entrepris confirmé.

Décision

54/10 - Congé annulable contraire aux règles de la bonne foi

Retour