Congé annulable
Base légale
Nom du tribunal
Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
Date
13.12.2010
Résumé
Après être devenue propriétaire d’un immeuble, la politique de la bailleresse était d’attribuer prioritairement un appartement qui se libérait à ses assurés. En revanche, la bailleresse n’avait pas pour politique de résilier les baux au motif que les locataires n’étaient pas assurés auprès d’elles. Si elle devait résilier un bail, c’était pour d’autres motifs. Il est ainsi douteux que les baux de l’intimée, et ceux-ci seulement aient été résiliés pour le seul motif de reloger un assuré. L’on doit donc admettre que le motif principal réside ailleurs, de sorte que le congé doit être annulé pour cette raison déjà.
Exposé des faits
Les parties sont liées par des contrats de bail à loyer portant sur la
location de deux appartements, le premier de 3 pièces et le second de 4
pièces. Les contrats ont été conclus pour une durée de 5 ans, du 1er
avril 2000 au 31 mars 2005, renouvelables ensuite tacitement d’année en
année, sauf résiliation donnée trois mois avant l’échéance du bail. Les
loyers annuels, charges non comprises, ont été fixés initialement, pour
chacun des appartements, à fr. 10'800.-.
Le 6 août 2002, l’immeuble a
changé de propriétaire. La bailleresse est une entreprise de droit
public dont le but est de "promouvoir la prévoyance en matière de risque
de vieillesse et de longévité en servant des rentes à ses assurés".
Par
avis de résiliation du 8 novembre 2007, la bailleresse a résilié les
baux des deux appartements concernés pour le 31 mars 2008. La
résiliation était fondée sur le "souhait du propriétaire de reloger un
de ses assurés".
Saisi d’une requête en contestation contre les deux
congés par la locataire, la Commission de conciliation a rendu une
décision le 27 octobre 2008 par laquelle elle a déclaré les congés
valables et refusé toute prolongation de bail.
Par acte du 27
novembre 2008, la locataire a saisi le Tribunal des baux et loyers d’une
demande visant, principalement, à faire constater la nullité des congés
et, subsidiairement, à une prolongation des deux baux pour une durée de
quatre ans.
Par jugement du 27 avril 2010, le Tribunal des baux et
loyers a annulé les congés du 8 novembre 2007. Par acte du 4 juin 2010,
la bailleresse a interjeté appel de ce jugement.
Considérations
3. En l’espèce, le motif invoqué par la bailleresse à l’appui de la
résiliation des baux de l’intimée consiste dans son "souhait de reloger
un de ses assurés".
Or, contrairement à ce qu’a retenu le Tribunal,
l’intimée a démontré que le motif invoqué par la bailleresse n’était pas
le véritable motif de la résiliation, ou à tout le moins pas la
motivation principale.
En effet, l’intimée a établi être la seule
locataire de l’immeuble dont le bail avait été résilié au motif de
reloger un assuré de la bailleresse. Or, la moitié au moins des
locataires de son immeuble ne sont pas non plus assurés auprès de la
bailleresse, sans pour autant que leur bail n’ait fait l’objet d’une
résiliation. De plus, la bailleresse n’a pas établi, ni même allégué,
alors qu’il lui était loisible de le faire pour tenter de démontrer le
sérieux de sa motivation, que ses appartements étaient systématiquement
attribués à des personnes assurées auprès d’elle, après qu’elle soit
devenue propriétaire de l’immeuble concerné. Au contraire, le
représentant de la bailleresse a indiqué qu’il ne savait pas si les
nouveaux locataires étaient assurés auprès de cette dernière, sauf pour
l’un d’entre eux qui l’était. De plus, il ressort des enquêtes que la
politique de l’appelante était d’attribuer prioritairement un
appartement qui se libérait à des assurés. En revanche, la bailleresse
n’avait pas pour politique de résilier les baux au motif que les
locataires n’étaient pas assurés auprès d’elles. Si elle devait résilier
un bail, c’était pour d’autres motifs, tels qu’une sous-location non
autorisée ou de justes motifs. Enfin, l’appelante n’a pas établi, ni
même allégué, un besoin spécifique d’un ou de plusieurs assurés pour les
appartements de l’intimée.
Dans ces circonstances, il est douteux
que les baux de l’intimée, et ceux-ci seulement, aient été résiliés pour
le seul motif de reloger un assuré. L’on doit donc admettre que le
motif principal réside en réalité ailleurs, de sorte que les congés
devraient être annulés pour cette raison déjà.
A cet égard, un des
membres de la direction de l’appelante a indiqué que l’attention de la
bailleresse avait été attirée sur le 6ème étage de l’immeuble car il n’y
avait que trois appartements au lieu de quatre. Elle a constaté que
deux appartements avaient été réunis en un seul, sans l’obtention d’une
autorisation de construire. On peut dès lors se demander si la
résiliation ne réside pas en réalité dans le fait que les appartements
ont été réunis, antérieurement à l’acquisition de l’immeuble par la
bailleresse, sans l’obtention préalable d’une autorisation de construire
et qu’un appartement de sept pièces est ainsi loué à des conditions
favorables.
On relèvera qu’en règle générale, le congé donné pour un
motif d’ordre économique est conciliable avec les règles de la bonne
foi, et le locataire n’est pas autorisé à réclamer l’annulation du congé
que le bailleur lui signifie parce qu’il espère obtenir, d’un nouveau
locataire, un loyer plus élevé mais néanmoins compatible avec l’art. 269
CO qui réprime les loyers abusifs (ATF 120 II 105 consid. 3b/bb p.
110). Or, en l’espèce, la bailleresse n’ayant pas invoqué un motif
d’ordre économique, la question de savoir si la relocation envisagée
serait compatible aves les dispositions relatives à l’interdiction des
loyers abusifs ne se pose pas.
4. Même à admettre que le motif
invoqué à l’appui de la résiliation est véridique et complet, ce qui
n’est pas le cas en l’espèce, il conviendrait encore d’examiner s’il
répond à un intérêt objectif, sérieux et digne de protection.
4.1. Ne
sont en général pas abusifs les congés, ordinaires ou extraordinaires,
visant à attribuer les locaux au bailleur, à l’un de ses proches ou à
l’une de ses connaissances, même si le besoin invoqué n’est ni immédiat,
ni urgent (ATF 4C.170/2004 du 27 août 2004 ; ATF 4C.411/2006 du 9
février 2007 ; LACHAT, op. cit. n. 4.6 p. 737).
Dans un arrêt
4A_557/2009 du 23 mars 2010, le Tribunal fédéral a admis que l’art. 271
al. CO laissait subsister, en principe, le droit du bailleur de résilier
le contrat dans le but d’adapter la manière d’exploiter son bien, selon
ce qu’il juge le plus conforme à son intérêt (en l’occurrence, le bail
avait été résilié pour affecter les locaux à un usage autre qu’à un
restaurant).
Dans un arrêt 4C.139/2000 du 10 juillet 2000, consid.
2b, le Tribunal fédéral a relevé, dans un obiter dictum, que l’intérêt
d’une société immobilière se concentrait dans la réalisation de son but
social et que la personne morale était juridiquement distincte de ses
actionnaires. Dans un ATF 132 III 737 consid. 3.4.3, le Tribunal
fédéral, examinant le besoin propre au sens de l’art. 271a al. 3 let. a
CO, a dans un premier temps exposé les avis doctrinaux divergents quant à
la prise en compte ou non du besoin propre d’un actionnaire d’une
société bailleresse, puis indiqué qu’il avait laissé cette question
indécise dans l’ATF 115 II 181. Il a ensuite précisé qu’il ressortait
clairement de l’obiter dictum figurant dans l’arrêt 4C. 139/2000 relatif
à une prolongation de bail que le besoin propre d’un actionnaire se
heurtait à l’objection que la personne morale était une entité distincte
de celui-ci.
La Cour de justice, après avoir rappelé les principes
évoqués ci-dessus, a considéré, dans un arrêt ACJC/457/2009 du 20 avril
2009, que le congé donné par une société familiale en vue de loger l’un
de ses actionnaires était digne de protection et ne pouvait être
qualifié d’abusif, dès lors que le motif de résiliation était sérieux et
authentique, et ce même si ledit motif ne ressortait pas du but social
de la société. Dans cette affaire, il n’était pas contesté que
l’actionnaire en question avait un besoin urgent de se loger, dans la
mesure où il était en procédure de divorce, au chômage, n’avait pas de
logement propre et avait la garde de sa fille en alternance avec la
mère.
4.2. Contrairement à ce qu’allègue l’appelante, les
circonstances du cas d’espèce ne sont pas comparables à celles découlant
de l’arrêt ACJC/457/2009 du 20 avril 2009 précité.
En effet,
l’appelante a admis ne pas avoir pour politique de résilier les baux des
locataires non assurés dans le but de reloger ses assurés, mais
seulement de mettre à disposition en priorité à ses assurés des
logements qui se libéraient. De même, l’appelante n’a pas démontré que
les logements vacants de l’immeuble en question avaient été
systématiquement attribués à des assurés, ni avoir résilié les baux des
autres locataires non assurés. Au demeurant, le but social de
l’appelante consiste à "promouvoir la prévoyance en matière de risque de
vieillesse et de longévité en servant des rentes à ses assurés", et non
pas à loger ses assurés. Enfin, l’appelante se prévaut en l’occurrence,
non pas du besoin concret et établi de l’un de ses actionnaires (voire
de ses assurés), mais de son souhait de reloger l’un de ses assurés, de
manière abstraite. Le motif de résiliation n’apparaît ainsi pas
authentique ni sérieux.
De manière générale, l’admission de ce motif
pourrait s’avérer problématique et conduire à des abus de la part de
propriétaires institutionnels. En effet, permettre à des sociétés
propriétaires comme l’appelante de résilier touts les baux des
locataires non assurés ou non affiliés auprès d’elles dans le but de
loger leurs propres assurés aurait des conséquences inopportunes et
obligeraient dans une certaine mesure les locataires à contracter aves
de telles sociétés pour pouvoir se loger. La compatibilité de cette
situation avec l’art. 254 CO concernant l’interdiction des transactions
couplées serait en outre douteuse.
4.3. Au vu de ce qui
précède, il faut admettre que le motif de résiliation invoqué par
l’appelante n’est pas digne de protection et que les congés donnés
contreviennent aux règles de la bonne foi, de sorte qu’ils doivent être
annulés. Le jugement entrepris sera dès lors confirmé.
Décision
50/9 - Congé annulable