Chambre d’appel en matière de baux et loyers du canton de Genève
15.06.2009
L’éventuel bonus à la rénovation réduit d’autant le montant des investissements qui entrent dans le calcul des loyers après travaux. Certes, le contrôle des loyers par les pouvoirs publics en cas de travaux de transformation et de rénovation n’est-il pas subordonné dans la LDTR à l’octroi d’un éventuel bonus à la rénovation. Il n’en reste pas moins qu’un tel bonus constitue clairement une mesure d’encouragement des pouvoirs publics et, lorsqu’il est accordé, se trouve couplé à un contrôle des loyers. Dans cette mesure, on doit retenir que les conditions cumulatives de l’art. 253b al. 3 CO sont réunies.
2. Selon l’appelante le Tribunal n’avait pas à entrer en matière sur
la demande de réduction d’un loyer, dont la quotité maximum avait été
fixée par l’autorité administrative durant une période de trois ans.
Aux
termes de l’art 253b al. 3 CO, les dispositions relatives à la
contestation des loyers abusifs ne s’appliquent pas aux locaux
d’habitation en faveur desquels des mesures d’encouragement ont été
prises par les pouvoirs publics et dont le loyer est soumis au contrôle
d’une autorité. Cette disposition vise à empêcher un double contrôle des
loyers et à eviter des décisions contradictoires (ATF 134 III 159
consid. 5.2.5 p. 165 ; 124 III 463 consid. 4b/dd p. 466). D’après la
jurisprudence, les deux conditions sont cumulatives (TF, SJ 1997 p. 495
consid. 3a ; arrêt 4C.12/1998 du 27 octobre 1998, consid. 3c ; sous
l’ancien droit, ATF 116 II 184 consid. 1 p. 186; cf. également ATF 129
III 272 consid. 2.2 p. 274, non traduit in SJ 2003 I 369; 124 III cité
consid. 4a p. 565). Cette position est approuvée très largement en
doctrine (TF, 4C.73/2004 du 1er juin 2004 consid. 2.1 et les références ;
entre autres, WEBER, Commentaire bâlois, 3ème éd., no 9 ad art.
253a/253b CO).
2.1 Selon le Tribunal féderal, un loyer qui fait
l’objet d’un contrôle prévu par la loi genevoise du 25 janvier 1996 sur
les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation
[RS L 5 20] est un loyer soumis à un contrôle étatique au sens de l’art
253b al. 3 CO (SJ 1997 cité, consid. 3b/aa p. 495 ; pour la loi générale
du 4 décembre 1977 sur le logement et la protection des locataires [RS I
4 05], ACJC/484/2006 du 8 mai 2006). La doctrine va dans le même sens
(SIEGRIST, Les loyers et les frais accessoires des logements
subventionnés, 10ème séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 1998, p.
14).
Reste à déterminer si le bonus conjoncturel à la rénovation
constitue une mesure d’encouragement de la collectivité, condition
cumulative de l’art. 253d al. 3 CO.
Le Tribunal a nié que tel soit le
cas. En cela, il a rejoint le point de vue de LACHAT (Le bail à loyer,
2008, n. 4.4.2.8 p. 120 note 66) pour lequel le bonus à la rénovation de
la LDTR ne constitue pas une subvention liée au contrôle des loyers,
qui intervient de manière indépendante de toute subvention.
Selon la
jurisprudence, il y a mesure d’encouragement lorsque l’immeuble
bénéficie d’une aide de la collectivité (SJ 1997 cité). Il peut s’agir
de paiements directs, de cautionnements, d’exonérations fiscales, de
prêts sans intérêts ou à taux avantageux, ou d’autres prestations ayant
le caractère de subventions, que les logements soient neufs ou rénovés
(CONOD, L’art. 253b al. 3 CO et la protection des locataires contre les
loyers abusifs dans les logements subventionnés, CdB 1998 p. 33 ss, not.
p. 38 no 4.1, qui cite BARBEY, Pratique en matière d’AMSL, Séminaire
sur le bail à loyer, Neuchâtel 1988, p. 3 ; HIGI, Commentaire zurichois,
note 84 ad art. 253 et 253b CO). LACHAT précise encore qu’il peut
s’agir également de mise à disposition de terrains (droit de superficie
avantageux), de prêts sans intérêts ou à des taux privilégiés, voire de
déclassement de zones (eod. loc., p. 120 ; cf. ACJC 459/2001 du 23 avril
2001, consid. 2a, relatif à la loi générale du 29 juin 1957 sur les
zones de développement [LGDZ ; RS L 1 35]).
2.2 A Genève, la LDTR a pour but de préserver l’habitat et les
conditions de vie existants (art. 1 al 1). A cet effet, tout en assurant
la protection des locataires et des propiétaires d’appartements, elle
prévoit notamment l’encouragement à des travaux d’entretien et de
rénovation raisonnables et proportionnés des maisons d’habitation (al. 2
let. b).
En cas de rénovation d’un immeuble, comprise comme la
remise en état, même partielle, de tout ou partie d’une maison
d’habitation, en améliorant le confort existant sans modifier la
distribution des logements, qui est assimilée par la loi à une
transformation de l’immeuble (art. 3 let. d LDTR), le département fixe,
comme condition de l’autorisation, le montant maximum des loyers des
logements après travaux (art. 10 al. 1 LDTR). Il prend en considération
l’ensemble des travaux à effectuer, sous déduction des subventions
éventuellement octroyées, en tenant compte (art. 11 al. 1 let. a à c
LDTR) :
• du rendement équitable des capitaux investis pour les
travaux, calculé, en règle générale, sur les 70% au maximum de leur coût
et renté à un taux de 0,5% point au-dessus de l’intérêt hypothécaire de
premier rang pratiqué par le Banque cantonale de Genève ; le taux de
rendement est fonction de l’incidence dégressive des amortissements ;
• de
l’amortissement calculé en fonction de la durée de vie des
installations, en règle générale dans une fourchette de dix-huit à vingt
ans, soit de 5,55% à 5% ;
• des frais d’entretien rentés en règle générale à 1,5% des travaux pris en considération ;
• des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération selon les art. 269 ss CO.
Pendant
la période du contrôle (de trois ans pour les immeubles transformés ou
rénovés – art. 12 LDTR), les loyers fixés ne peuvent pas être dépassés.
Toutefois, lorsque l’évolution des critères de fixation des loyers au
sens des art. 269 ss CO le justifie, une demande de modification des
loyers peut être présentée au département, qui statue alors selon les
art. 269 ss CO. Dans ce cas, toute hausse de loyer admise par le
département reste soumise aux dispositions du droit fédéral sur le bail à
loyer (art. 14 LDTR).
L’Etat encourage parallèlement l’entretien
régulier des immeubles d’habitation et les rénovations (art. 15 LDTR),
notamment par des subventions à fonds perdus (subventions au
propriétaire au sens de l’art. 16 ou subvention personnalisée au
locataire pour les immeubles d’habitation mixte selon l’art. 30A LGL) ou
des bonus à la rénovation (16 à 24 LDTR).
Les buts des bonus à la
rénovation sont entre autres d’inciter les propriétaires à réaliser les
travaux d’entretien et de rénovation raisonnables et proportionnés de
leurs immeubles et des logements, de maintenir et de développer un parc
de logement dont le confort et les loyers répondent aux besoins
prépondérants de la population, de contribuer à la sauvegarde d’un
patrimoine architectural de qualité à Genève (art. 16 let. a, b et c
LDTR). Des subventions sont accordées à ces fins aux propriétaires des
immeubles d’habitation (art. 18 LDTR).
Les bonus à la rénovation
alloués aux propriétaires doivent viser principalement à permettre la
rénovation d’immeubles vétustes et bon marché en maintenant, après
travaux, des loyers se situant largement en dessous de ceux
correspondant aux besoins prépondérants de la population, ainsi que la
réalisation de travaux de rénovation dans des immeubles où les loyers
après travaux dépasseraient dans des proportions raisonnables les
besoins prépondérants de la population (art. 21 let. a et b LDTR).
2.3 L’autorité administrative, lorsqu’elle applique la LDTR, fixe
ainsi des loyers maximaux en tenant compte, en plus des facteurs
relatifs prévus par le code des obligations, du rendement équitable des
capitaux investis pour les travaux, cas échéant après déduction des
subventions, et de l’amortissement calculé en fonction de la durée de
vie des installations. L’éventuel bonus à la rénovation réduit en
conséquence d’autant le montant des investissements qui entrent dans le
calcul des loyers après travaux, conformément au but légal de mettre à
disposition des logements correspondant aux besoins prépondérants de la
population (art. 21 LTDR).
Certes, le contrôle des loyers par les
pouvoirs publics en cas de travaux de transformation et de rénovation
n’est-t-il pas subordonné dans la LDTR à l’octroi d’un éventuel bonus à
la rénovation. Il n’en reste pas moins qu’un tel bonus constitue
clairement une mesure d’encouragement des pouvoirs publics et, lorsqu’il
est accordé, se trouve couplé à un contrôle des loyers.
Dans cette mesure, on doit retenir que les conditions cumulatives de l’art. 253b al. 3 CO sont réunies.
L’intimé
met en évidence que la LDTR n’a pas réservé la voie de la réclamation
au locataire sur le modèle de l’art. 44 LGL. Cet élément n’est toutefois
pas déterminant sous l’angle de la primauté du droit fédéral et ne
saurait entraver l’application de la norme de compétence instituée par
l’art. 253b al. 3 CO (ATF 124 III 463 consid. b/dd p. 467).
L’art.
253b al. 3 CO ferme ainsi la procédure prévue dans le droit des
obligations (ATF 124 III 463 consid. 4b/dd p. 466). Les dispositions du
droit du bail relatives à la contestation des loyers abusifs ne
s’appliquent donc pas à la hausse/baisse litigieuse, ce qui doit être
constaté, avec la conséquence que la juridiction des baux et loyers est
incompétente pour statuer sur la demande de baisse de loyer.
Dans cette mesure, le Tribunal des baux et loyers a violé la loi, ce qui conduit à l’annulation du jugement déféré.
L’affaire
est transmise d’office (art. 448 LPC) au Département des constructions
et technologies de l’information, Office des autorisations de construire
(art. 11 al. 3 et 17 al. 5 de la loi genevoise du 12 septembre 1985 sur
la procédure administrative [RS 5 10] pour qu’il statue sur la
contestation.