Annulation de congé contraire aux règles de la bonne foi

Base légale

Nom du tribunal

Chambre d’appel en matière de baux et loyers de Genève

Date

07.05.2007

Résumé

Le congé donné par le bailleur en vue d’obtenir d’un nouveau locataire un loyer plus élevé, mais non abusif, ne constitue pas, en règle générale, un abus de droit. Il faut que le bailleur soit en mesure d’ exiger du nouveau locataire un loyer supérieur au loyer payé jusqu’alors par le preneur congédié. Si l’application de la méthode absolue permet d’exclure l’hypothèse que le bailleur puisse majorer légalement le loyer parce que celui-ci est déjà conforme aux prix du marché et lui procure un rendement suffisant, le congé sera annulé.

Exposé des faits

Les parties sont liées par un contrat de bail à loyer conclu le 28 mai 1979, portant sur un appartement de 3,5 pièces sis au troisième étage d’un immeuble à G. Le loyer annuel a été fixé à fr. 6'600.– par an, charges non comprises. Par acte de conciliation du 25 septembre 2001, le bail a été reconduit au 30 juin 2005, le dernier loyer annuel étant fixé à fr. 11'292.–.
Par lettre du 15 mars 2005, accompagnée de l’avis officiel de résiliation, la bailleresse a mis fin au contrat de bail pour le 30 juin 2005. En réponse à la demande de la locataire, la bailleresse a précisé, le 29 mars 2005, que la résiliation avait été décidée pour des motifs économiques, précisant qu’elle considérait pouvoir louer cet appartement à un loyer plus élevé.
Par acte du 14 avril 2005, la locataire a saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d’une requête en annulation du congé, subsidiairement en prolongation du bail. Par décision du 17 octobre 2005, la Commission a rendu une décision annulant le congé notifié le 15 mars 2005, faute pour la bailleresse d’avoir démontré la réalité du motif économique.
La bailleresse a recouru devant le Tribunal des baux et loyers par acte du 18 novembre 2005, concluant que la résiliation était valable. Par jugement du 22 mai 2006, le Tribunal des baux et loyers a annulé le congé notifié le 15 mars 2005. Il a considéré que la bailleresse ne lui avait notamment pas soumis d’exemples comparatifs répondant aux conditions jurisprudentielles et qu’en conséquence il n’était pas établi que l’appartement pourrait être reloué à un tiers à un prix plus élevé. La bailleresse a fait appel de ce jugement.

Considérations

3. En premier lieu, l'appelante reproche au Tribunal d'avoir considéré \nque les exemples comparatifs ne remplissaient pas les conditions \njurisprudentielles.
3.1 A côté d'une liste d'exemples où une \nrésiliation émanant du bailleur est annulable (art. 27la al. 1 CO), la \nloi prévoit, de manière générale, que le congé donné par l'une ou \nl'autre partie est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la \nbonne foi (art. 271 al. 1 CO). La protection accordée par l'art. 271 al.\n 1 CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et\n de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC), une distinction\n ne se justifiant pas en cette matière (cf. ATF 120 II 31 consid. 4a, \nATF 120 II 105 consid. 3). Cependant, sous l'angle des règles de la \nbonne foi, on ne saurait sanctionner par principe un congé donné pour \ndes motifs économiques.
L'ordre juridique actuel permet au bailleur \nd'optimaliser son rendement dans les limites fixées par la loi (art. \n269/269a CO) et au locataire de satisfaire ses besoins en y consacrant \nle moins d'argent possible. Le congé donné par le bailleur en vue \nd'obtenir d'un nouveau locataire un loyer plus élevé, mais non abusif, \nne constitue pas, en règle générale, un abus de droit. Il ne contrevient\n pas non plus aux règles de la bonne foi, hormis les cas où une \nrestriction au libre exercice du droit de résiliation peut être déduite \ndes rapports de confiance spécifiques entre les parties au contrat.
Pour\n être admissible, une résiliation dictée par des motifs d'ordre \néconomique ne doit cependant pas servir de prétexte à la poursuite d'un \nbut illicite. Il faut donc que le bailleur soit en mesure d'exiger du \nnouveau locataire un loyer supérieur au loyer payé jusqu'alors par le \npreneur congédié. Si l'application de la méthode absolue permet \nd'exclure l'hypothèse que le bailleur puisse majorer légalement le loyer\n parce que celui-ci est déjà conforme aux prix du marché et lui procure \nun rendement suffisant, le congé sera annulé (ATF 120 II 105 SI X c/ \nSieurs S.; JT 1995 I 221).
3.2 Dans une jurisprudence récente, le \nTribunal fédéral a jugé que la méthode absolue devait être utilisée pour\n déterminer si le bailleur pouvait, après la résiliation du bail, \nobtenir un loyer plus élevé. Il doit donc être contrôlé que le loyer \nactuel pourrait être augmenté, en comparaison avec ceux pratiqués dans \nle quartier (4C.443/2004 in CdB 2/05 p. 33 ss).
Dans un arrêt \nantérieur (SJ 1998 p. 68 ss), le Tribunal fédéral a précisé les \nconditions, que les exemples comparatifs doivent remplir, pour que l'on \npuisse tirer des conclusions qui offrent quelque sécurité. Il faut \ndisposer, en règle générale, de cinq éléments de comparaison au moins, \nqui présentent pour l'essentiel, les mêmes caractéristiques que le \nlogement litigieux quant à l'emplacement, la dimension, l'équipement, \nl'état et l'année de construction. Lorsque le bailleur cite plusieurs \nappartements dans le même immeuble géré par la même société, ils n'en \nforment qu'un. Par ailleurs, s'il y a des différences inexpliquées entre\n les loyers, il faut vérifier que les loyers de comparaison ne soient \npas eux-mêmes abusifs. Ainsi, une comparaison concrète doit être \neffectuée, en fonction des critères fixés à l'art. 11 OBLF, et tenir \ncompte ce faisant de l'évolution des loyers de comparaison. Le Tribunal \nfédéral a confirmé à cette occasion sa jurisprudence, fermement établie,\n exigeant des bailleurs qu'ils établissent que les loyers de comparaison\n ont réagi à la baisse du taux hypothécaire. En effet, il serait \ncontraire au but de la loi de prendre pour objets de comparaison des \nloyers qui sont eux-mêmes abusifs. Par ailleurs, la comparaison doit \ntenir compte également de l’infrastructure du quartier, de la présence \nde commerces, des facilités de transport, de la présence d'installations\n sportives, d'écoles, etc. La description des appartements ne suffit pas\n (ATF 123 III 317 = SJ 1998 p. 68 - JT 1998 I 125).
Selon l'art. 11 \nal. 1 OBLF, l'année de construction du bâtiment constitue un critère de \ncomparaison. La jurisprudence a nié la validité d'une comparaison sur \nplus de vingt années (ATF n. 4C.40/2001 du 15 juin 2001).
La \ndimension du logement est également un critère déterminant (ATF 123 III \n317 consid. 4b/cc p. 321). Ainsi, l'indication du nombre de pièces ne \nsaurait compenser l'absence de données sur la surface de l'appartement \nprésenté à titre de comparaison (cf. également arrêt précité du 15 juin \n2001 dans la cause 4C.40/2001 consid. 5c/db).
Les exemples fournis à \ntitre comparatif doivent permettre de procéder à une véritable \ncomparaison des objets loués. En particulier, les parties doivent \nindiquer les caractéristiques de l'appartement litigieux, tel son degré \nde confort, les éventuels travaux de rénovation et de modernisation qui \nauraient été effectués dans l'immeuble. De même, le dossier ne doit pas \ncontenir des indications très partielles sur l'année de construction, le\n confort, la rénovation et la surface des appartements cités à titre \ncomparatif.
L'instruction d'office des faits à laquelle doit recourir\n le Tribunal des baux et loyers ne dispensant pas les parties de \nformuler devant cette instance une offre de preuve claire et précise, le\n juge n'a pas à ordonner d'enquêtes sur ce point (ACJ n° 325 du \n17.3.1997 SI X. c/ T.).
3.3 Comme l'a retenu le Tribunal, quatre des \nexemples comparatifs produits ne précisent pas la surface du logement en\n question. De plus deux de ces exemples ne remplissent pas les \nconditions de proximité de date de construction. Par ailleurs, l'état \ndes différents exemples versés à la procédure varie d'un appartement \nl'autre, sans qu'une majorité corresponde à celui loué par l'intimée. Au\n vu de ce qui précède, le Tribunal ne pouvait les considérer comme \nutiles à la solution du litige. En conséquence, ne restent que deux \nexemples comparatifs, nombre insuffisant pour déterminer le niveau des \nloyers dans le quartier. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner les \nautres critères de comparaison.
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