Annulabilité et nullité du congé
Base légale
- Art. 273 al. 1 CO
- Art. 274e al. 3 CO
- Art. 274f al. 3 CO
Nom du tribunal
Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
Date
10.03.2003
Résumé
Considérer que le tribunal ne peut pas examiner l'annulabilité du congé dans la mesure où les conclusions du locataire se bornent à le prier d'en constater la nullité constitue une interprétation trop stricte par rapport au droit fédéral. Le formalisme procédural ne doit pas être excessif et empêcher l'application concrète du droit fédéral qui, pour sa part, ne fait pas de distinction entre nullité et annulabilité du congé. Ainsi, le tribunal doit examiner d'office la validité formelle et matérielle du congé.
Exposé des faits
Par jugement notifié le 17 juin 2002, le Tribunal des baux et loyers a
déclaré valable le congé notifié au locataire d'un local commercial pour
le 30 novembre 2000 et accordé au locataire une prolongation dudit bail
de six ans échéant le 30 novembre 2006. Pour rendre sa décision, le
Tribunal des baux et loyers s'est fondé sur les éléments suivants:
"…
le Tribunal constate que tant dans son recours que dans ses écritures
après enquêtes, le locataire, par le biais de son conseil, conclut
exclusivement à l'annulation de la décision de la Commission de
conciliation et à ce que la résiliation soit déclarée "nulle et de nul
effet".
Or, il n'est pas possible au Tribunal d'aller au-delà des
conclusions d'une partie. La doctrine a confirmé que le juge est lié par
les conclusions des parties qui forment le cadre des débats, hormis les
cas où le juge doit statuer d'office en vertu des règles du droit
matériel (Commentaire de la LPC, Bertossa/Gaillart/Guyet/Schmidt, ad
art. 7 point 8). Les commentaires à l'art. 435 LPC précisent également
que la procédure est réglée par la maxime d'office uniquement concernant
le fardeau de l'allégation et l'administration de la preuve, et que la
loi de 1987 n'avait pas consacré la jurisprudence, par ailleurs
controversée, qui avait étendu l'application de la maxime d'office aux
conclusions.
Le locataire, représenté par un avocat qui plus est
rompu au domaine du droit du bail, ne peut ignorer d'une part
l'importance de la précision des conclusions, et d'autre part la
distinction qu'il y a entre la nullité et l'annulation d'une résiliation
de bail. Il n'est donc pas possible au Tribunal d'interpréter ses
conclusions. Or aucune cause de nullité du congé n'est établie, ni par
ailleurs alléguée. Aucune conclusion n'étant formulée en annulation du
congé, le Tribunal ne peut entrer en matière.
Cela est d'autant
regrettable que le congé aurait pu être annulé pour plusieurs raisons,
d'une part le changement de motivation du bailleur et le fait que la
deuxième motivation paraît être un prétexte, et d'autre part le fait que
le locataire s'est effectivement entendu avec son bailleur sur une
prétention découlant du bail, dans les trois ans.
Vu ce qui précède, le congé ne pourra cependant qu'être validé".
Considérations
2.1 Le congé relatif aux baux d'habitation et de locaux commerciaux est
une manifestation de volonté, émanant du bailleur ou du locataire,
exprimée par écrit (art. 266l al. 1 CO) et signée, aux termes de
laquelle l'expéditeur manifeste de manière univoque et inconditionnelle
son intention de mettre fin à la relation contractuelle.
Si le congé émane du bailleur, une formule officielle doit être utilisée (art. 266l al. 2 CO).
Pour
les autres spécificités formelles du congé, qu'il s'agisse
d'habitations, de locaux commerciaux ou de logements de la famille, il
convient de se référer à D. Lachat, Le bail à loyer, p. 406ss, n. 2 ss.
2.2 La
partie qui veut contester le congé (die Kündigung anfechten, contestare
la disdetta) doit saisir l'autorité de conciliation dans les 30 jours
qui suivent la réception du congé (art. 273 al. 1 CO).
Si la Chambre
de conciliation ne parvient pas à trouver un accord, elle rend une
décision sur les prétentions des parties (Entscheid über die An-sprüche
der Vertragsparteien, decisione sulle foro pretese; Art. 273 al. 4 CO).
2.3 La
partie qui succombe devant la Chambre de conciliation peut saisir le
Tribunal des baux et loyers dans les 30 jours, à défaut de quoi la
décision de l'autorité de conciliation devient définitive (art. 273 al. 5
CO, art. 274f al. 1 CO).
Le juge saisi tranche des questions
préjudicielles et provisionnelles, il applique par analogie l'art. 274e
al. 3 CO, c'est-à-dire que lorsqu'il rejette une requête en annulabilité
du congé (Anfechtbarkeit der Kündigung, contesta la disdetta), il
examine d'office si le bail peut être prolongé (art. 274f al. 3 CO).
2.4 En vertu de l'art. 49 al. 1 de la Constitution fédérale, le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire.
Selon
la doctrine, l'art. 274f al. 3 CO institue une maxime d'officialité
restreinte tirée de l'art. 274e al. 3 CO: si la partie instante fait
valoir la nullité ou l'inefficacité d'un congé et que le juge la
rejette, il doit alors examiner d'office la question de la prolongation
du bail, en revanche si la partie instante se borne à solliciter la
prolongation des relations contractuelles sans mettre en cause la
validité du congé, le juge ne peut la vérifier d'office (cf. Higi,
Commentaire zurichois, pp. 487 n. 67-70 ad art. 274e CO, p. 497 n. 18 ad
art. 274f CO; Lachat, Le bail à loyer p. 487/488 ch. 6.4).
3. En l'occurrence, c'est la décision de la Commission de conciliation qui est l'objet de la procédure.
Le
Tribunal estime qu'il ne peut pas examiner l'annulabilité du congé dans
la mesure où les conclusions du locataire se bornent à le prier d'en
constater la nullité.
Il s'agit-là d'une interprétation trop stricte
par rapport au droit fédéral: le juge (et la Chambre de conciliation)
doivent examiner d'office la validité formelle et matérielle du congé
lorsque la partie instante en fait la demande.
A cet égard, le
formalisme procédural ne doit pas être excessif et empêcher
l'application concrète du droit fédéral qui, pour sa part, ne fait pas
de distinction entre nullité et annulabilité du congé, visant simplement
la notion de contestation du congé (Anfechtbarkeit der Kündigung,
contesta della disdetta).
Les exemples donnés par Lachat en matière
de requête à l'autorité de conciliation démontrent qu'il faut faire
preuve de peu de formalisme (op.cit. p. 488 ch. 6.4) et en l'espèce
admettre la demande en annulation de congé, même si les conclusions
visent la nullité du congé.
Décision
38/10 - Annulabilité et nullité du congé