Chambre d'appel en matière de baux et loyers de Genève
11.04.2005
Le juge ne peut annuler le congé du locataire en demeure selon l’art. 257 d CO que si celui-ci est inadmissible au regard de la jurisprudence relative à l’abus de droit. Tel est le cas lorsque le bailleur a notifié au locataire qu’il devait payer le loyer par trimestre d’avance, tout en lui fournissant des bulletins de versement pré imprimés mensuels et que le loyer mensuel est payé régulièrement avec quelques jours de retard.
4.1. A côté d'une liste d'exemples où une résiliation émanant du
bailleur est annulable (art. 271 a al. 1 CO), la loi prévoit, de manière
générale, que le congé, donné par l'une ou l'autre partie, est
annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al.
1 CO).
Selon la jurisprudence, la protection accordée par l'art. 271
al. 1 CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1
CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC), tant il
est vrai qu'une distinction rigoureuse ne se justifie pas en cette
matière (cf. ATF 120 II 31 consid. 4a, 105 consid. 3 p. 108).
Les cas
typiques d'abus de droit (absence d'intérêt à l'exercice d'un droit,
utilisation d'une institution juridique contrairement à son but,
disproportion grossière des intérêts en présence, exercice d'un droit
sans ménagement, attitude contradictoire) justifient l'annulation du
congé; à cet égard, il n'est toutefois pas nécessaire que l'attitude de
l'auteur du congé puisse être qualifiée d'abus de droit « manifeste » au
sens de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 120 II 105 consid. 3 p. 108). Ainsi, le
congé doit être considéré comme abusif s'il ne répond à aucun intérêt
objectif, sérieux et digne de protection (arrêt 4C.267/2002 du 18
novembre 2002, consid. 2.2; arrêt 4C.305/1995 du 15 février 1996,
consid. 4a). Est abusif le congé purement chicanier dont le motif n'est
manifestement qu'un prétexte (ATF 120 II 31 consid. 4a p. 32). En
revanche, le congé donné par le bailleur en vue d'obtenir d'un nouveau
locataire un loyer plus élevé, mais non abusif, ne saurait, en règle
générale, constituer un abus de droit (ATF 120 II 105 consid. 3b).
L'art.
271 al. 1 CO s'applique également lorsque la résiliation du bail a pour
cause la demeure du locataire au sens de l'art. 257d CO. Le droit du
bailleur de résilier le bail s'oppose alors à celui du locataire d'être
protégé contre une résiliation abusive. Le juge ne peut annuler le congé
litigieux que si celui-ci est inadmissible au regard de la
jurisprudence relative à l'abus de droit et à la bonne foi; il faut des
circonstances particulières pour que le congé soit annulé (ATF 120 II 31
consid. 4a p. 33). Tel sera le cas, par exemple, lorsque le bailleur,
lors de la fixation du délai comminatoire, réclame au locataire une
somme largement supérieure à celle en souffrance, sans être certain du
montant effectivement dû (ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33/34). Le congé
sera également tenu pour contraire aux règles de la bonne foi si le
montant impayé est insignifiant (ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33), si
l'arriéré a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai
alors que le locataire s'était jusqu'ici toujours acquitté à temps du
loyer ou si le bailleur résilie le contrat longtemps après l'expiration
du délai comminatoire (LACHAT, Le bail à loyer, p. 213; WESSNER,
L'obligation du locataire de payer le loyer et les frais accessoires, in
9ème Séminaire sur le droit du bail, Neuchâtel 1996, p. 24).
4.2 En l'espèce, la locataire a certes toujours accusé un léger
retard dans ses paiements et entraîné la bailleresse dans des frais de
rappels (couverts par la locataire). C'est pour cette raison d'ailleurs
que des versements trimestriels ont été exigés. La Cour relève
toutefois, au vu des pièces déposées par l'intimée, que cette dernière a
continué à s'acquitter des loyers dus mensuellement après la
notification des nouvelles exigences de l'appelante au moyen des
bulletins de versement de la SI, qui faisaient toujours mention du loyer
mensuel de 635.00, montant préimprimé sur lesdits bulletins. La
procédure n'établit pas que la régie aurait remis à sa locataire de
nouveaux bulletins de versement préimprimés mentionnant les sommes dues
trimestriellement. En agissant ainsi, elle a laissé perdurer une
confusion dans l'esprit d'une personne dont il n'est pas allégué qu'elle
serait rompue aux affaires. Il était donc normal qu'elle continuât de
s'acquitter des montants dus sur les seuls bulletins qui étaient en sa
possession, mensuellement et non trimestriellement. Il sied de remarquer
au surplus que l'intimée s'est rendue à la caisse de la régie le 8
janvier 2004 pour s'acquitter du loyer de janvier 2004 immédiatement
après l'envoi de la mise en demeure du 5 janvier 2004, régularisant
ainsi les paiements mensuels. A cette occasion, il n'est pas allégué que
son attention aurait été attirée sur ses nouvelles obligations ou que
des nouveaux bulletins de versement ad hoc lui auraient été remis.
Ces
circonstances démontrent que l'appelante use en l'occurrence d'une
procédure qu'elle n'a pas assumée intégralement, au détriment de
l'intimée qui n'a jamais accusé plus de quelques jours de retard en
plusieurs années de relations contractuelles. L'appelante n'invoquant
pas d'autre argument pour solliciter son évacuation, il y a lieu de
considérer celle-ci comme abusive. Le jugement querellé sera par
conséquent confirmé, par substitution de motifs.
40/4 - Annulabilité du congé du locataire en demeure pour abus de droit