Action en libération de dette – audience de conciliation
Base légale
- Art. 83 al. 2 LP
- Art. 198 lit. e ch. 1 CPC
Nom du tribunal
Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève
Date
10.02.2014
Résumé
La question de savoir si, dans le cas où elle est incompétente, l’autorité de conciliation, hors l’exercice d’une compétence juridictionnelle, soit dans le cadre d’une procédure de conciliation au sens étroit, doit refuser d’entrer en matière sur une requête n’est pas régie par la loi. Cette question est controversée en doctrine. En revanche, il est mis en exergue l’obligation de ladite autorité de rendre les parties attentives à son éventuelle incompétence.
Exposé des faits
Les parties sont liées par un bail à loyer portant sur la location d’un
appartement de sept pièces à Genève. Le locataire a conclu oralement un
contrat de sous-location.
Le 28 août 2007, le locataire et le
sous-locataire ont signé un document par lequel le sous-locataire
déclarait reprendre la dette du locataire vis-à-vis du bailleur,
moyennant un paiement mensuel de Fr. 7750.–. Le sous-locataire s’est
acquitté régulièrement de ce montant jusqu’au mois de juin 2010, au
motif qu’il avait découvert que le sous-loyer était supérieur à celui du
bail principal.
Le 16 novembre 2010, le locataire a mis en demeure
le sous-locataire de régler dans les trente jours un arriéré de Fr. 46
500.–, correspondant aux sous-loyers dus pour la période du 1er juin au
30 novembre 2010. Le sous-locataire s’est opposé à cette mise en
demeure, se prévalant de la nullité du loyer initial. Le 21 décembre
2010, le locataire a résilié le sous-bail au 31 janvier 2011 pour défaut
de paiement du loyer.
Par la suite, le locataire a introduit deux
poursuites contre le sous-locataire, poursuites qui ont été frappées
d’opposition; le locataire a requis et obtenu la mainlevée de ces
oppositions. Le sous-locataire a introduit des actions en libération de
dette en saisissant la Commission de conciliation en matière de baux à
loyer.
Par jugement du 26 juin 2013, le Tribunal des baux et loyers a
constaté la recevabilité des actions en libération de dette formées par
le sous-locataire « par le dépôt devant la Commission de conciliation
en matière de baux et loyers » en date des 21 décembre 2011 et 16 avril
2012. Le 13 août 2013, le locataire a interjeté appel de ce jugement,
concluant à ce que les actions en libération de dette soient déclarées
irrecevables et à ce qu’il soit dit que les poursuites concernées
suivent leur cours.
Considérations
3.1.1 Lorsque la mainlevée provisoire a été accordée, le débiteur peut,
dans les 20 jours à compter de cette dernière, intenter au for de la
poursuite une action en libération de dette, laquelle sera instruite en
la forme ordinaire (art. 83 al. 2 LP).
Le for de la poursuite est au domicile du débiteur (art. 46 al. 1 LP).
Le
Tribunal des baux et loyers connaît notamment des litiges relatifs au
contrat de bail à loyer (art. 89 al. 1 let. A LOJ). La Commission de
conciliation en matière de baux et loyers (ci-après: «la Commission de
conciliation ») est l’autorité de conciliation pour les litiges relevant
de la compétence de ce Tribunal (art. 90 al. 1 LOJ).
3.1.2
L’instance est introduite par le dépôt de la requête de conciliation, de
la demande ou de la requête en justice, ou de la requête commune en
divorce (art. 62 al. 1 CPC).
Si l’acte introductif d’instance retiré
ou déclaré irrecevable pour cause d’incompétence est réintroduit dans
le mois qui suit le retrait ou la déclaration d’irrecevabilité devant le
tribunal ou l’autorité de conciliation compétent, l’instance est
réputée introduite à la date du premier dépôt de l’acte (art. 63 al. 1
CPC). Il en va de même lorsque la demande n’a pas été introduite selon
la procédure prescrite (art. 63 al. 2 CPC). Les délais d’action légaux
de la LP sont réservés (art. 63 al. 3 CPC).
La procédure au fond est
en principe précédée d’une tentative de conciliation (art. 197 CPC),
sauf exceptions comme dans les cas relevant de la LP, lesquels
comprennent, notamment, les actions en libération de dette (art. 198
let. e ch. 1 CPC).
Dans le cas où l’autorité de conciliation
constate qu’elle est incompétente à raison du lieu ou de la matière sans
toutefois exercer une compétence juridictionnelle, soit dans le cas où
elle conduit une procédure limitée à la conciliation, la question de
savoir si elle doit ou peut ne pas entrer en matière sur la requête qui
lui est soumise est controversée en doctrine. Certains auteurs pensent
que l’autorité doit de toute manière mener une procédure de
conciliation, tandis que les autres sont d’avis qu’elle ne doit pas
entrer en matière, soit dans tous les cas où elle est incompétente, soit
dans l’hypothèse où l’incompétence est manifeste, soit encore dans les
cas où l’incompétence est d’ordre matériel (HONNEGGER, Kommentar zur
schweizerischen Zivilprozessordnung, 2013, 2ème éd., N. 18 ad art. 202
CPC et les références citées). D’autres pensent qu’elle ne peut dans ce
cas refuser d’entrer en matière que si sont concernées les règles de
compétence matérielles propres à la procédure de conciliation prévues
aux art. 198 et 199 CPC (PETER, Berner Kommentar 2012, N. 10 ad art. 197
CPC). Dans les cas où elle exclut un refus d’entrer en matière, la
doctrine est d’avis que l’autorité de conciliation doit néanmoins
attirer l’attention des parties sur la question de son incompétence,
afin notamment de donner la possibilité au demandeur de retirer sa
requête (HONNEGGER, op. cit., N 19 ad art. 203 CPC; PETER, op. cit., N. 9
ad art. 197 CPC; EGLI, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2011, N. 12
ad. art. 202 CPC; INFANGER, Basler Kommentar ZPO, 2013 2ème éd, N. 15 ad
art. 202 CPC).
Une autorisation de procéder délivrée par une
autorité de conciliation manifestement incompétente n’est en principe
pas valable. Aussi, en procédure ordinaire, dans les causes soumises à
un essai préalable de conciliation, la demande en justice introduite sur
la base d’une telle autorisation de procéder est irrecevable (ATF 139
II 273 consid. 2.1).
3.1.3 Découlant directement de l’art. 9
Cst. et valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le droit à la
protection de la bonne foi préserve la confiance légitime que le citoyen
met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa
conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement
déterminé de l’administration (ATF 131 II 627 consid. 6.1 et 128 II 112
consid. 10b/aa). En application de ce principe, on admet généralement
qu’une partie ne doit pas être lésée par une indication erronée des
voies de droit (ATF 115 Ia 12 consid. 4a p. 19 et 112 Ia 305 consid. 3;
arrêt du Tribunal fédéral 8C_184/2010 du 27 avril 2010 consid. 3.4).
3.2
En l’espèce, l’autorité compétente à raison du lieu et de la matière
pour connaître des présentes actions en libération de dette est la
juridiction des baux et loyers genevoise, compte tenu du domicile de
l’intimé et du for de la poursuite qui en découle d’une part, ainsi que
de l’objet du litige relatif aux baux et loyers d’autre part. La
compétence à raison du lieu et de la matière du premier juge n’est par
ailleurs pas litigieuse.
Les actions en libération de dette ont été
déposées auprès de la Commission de conciliation respectivement les 21
décembre 2011 et 16 avril 2012, à la suite de la notification à l’intimé
des deux jugements de mainlevée provisoire concernant les poursuites en
cause (nos 11 191562 H et 11 256042 W) respectivement les 5 décembre
2011 et 26 mars 2012, soit dans le délai de 20 jours de l’art 83 al. 2
LP.
Compte tenu de l’échec de la tentative de conciliation
intervenue le 25 avril 2012, l’intimé a saisi le Tribunal le 24 mai
suivant, dans le délai de 30 jours indiqué dans l’autorisation de
procéder délivrée par la Commission de conciliation.
La présente
cause n’était cependant pas soumise à la tentative préalable de
conciliation (art. 198 let. e ch. 1 LP), ce qui exclut la compétence à
raison de la matière de la Commission de conciliation sur la base de
normes propres à la procédure de conciliation. Cette incompétence,
résultant d’une exception légale univoque, était manifeste.
La
question de savoir si, dans le cas où elle est incompétente, l’autorité
de conciliation, hors l’exercice d’une compétence juridictionnelle, soit
dans le cadre d’une procédure de conciliation au sens étroit, doit
refuser d’entrer en matière sur une requête n’est pas régie par la loi.
Cette question est controversée en doctrine. Les auteurs précités
préconisant un examen et une décision par l’autorité de conciliation ne
s’accordent pas non plus sur les cas d’incompétence entrant en ligne de
compte (tout type d’incompétence, incompétence à raison de la matière,
incompétence manifeste,…). Ils mettent en revanche tous en exergue
l’obligation de ladite autorité de rendre les parties attentives à son
éventuelle incompétence.
En l’espèce, l’incompétence de la Commission
de conciliation était manifeste puisqu’elle découlait de la loi. Elle
relevait en outre de ses propres règles de compétence matérielle. Aussi
l’autorité aurait-elle dû, si ce n’est rendre une décision
d’irrecevabilité, à tout le moins attirer l’attention de l’intimé sur ce
problème. De la sorte, ce dernier aurait pu retirer ses actions en
libération de dette et les introduire par-devant le Tribunal dans le
délai de grâce supplémentaire de 20 jours résultant des art. 63 al. 1 et
3 et 83 al. 2 LP. Celles-ci auraient dès lors été réputées avoir été
introduites à la date de la saisine de la Commission de conciliation
respectivement les 21 décembre 2011 et 16 avril 2012, en conséquence de
quoi le délai de 20 jours pour introduire l’action en libération de
dette aurait été sauvegardé.
Considérer, au stade où en était la
procédure avant que le Tribunal ne tranche, que la saisine de la
Commission de conciliation n’était pas valable et que les actions en
libération de dette devaient être déclarées irrecevables puisque
tardives serait revenu ainsi à priver l’intimé du délai de grâce
suscité. L’intimé n’aurait en effet plus pu se prévaloir, sur la base de
l’art. 63 CPC, de la litispendance créée par la saisine de la
Commission de conciliation respectivement les 21 décembre 2011 et 16
avril 2012.
Or, dans la mesure où l’autorité de conciliation a
délivré une autorisation de procéder sans émettre une quelconque réserve
relative à sa compétence, et que l’intimé s’y est fié et a poursuivi la
procédure sur le fond, le priver de la protection offerte par l’art. 63
CPC n’aurait pas été comptable avec la protection de la bonne foi,
comme l’a justement retenu le Tribunal.
3.3 Au vu des
considérations qui précèdent, il y a lieu de retenir que l’instance a
été introduite respectivement les 21 décembre 2011 et 16 avril 2012,
soit dans le délai prévu par la LP.
Au surplus, le fait que
l’autorisation de procéder ne soit pas valable en soi compte tenu de
l’incompétence de la Commission de conciliation n’est pas pertinent,
dans la mesure où la recevabilité des actions en libération de dette du
24 mai 2012 n’est pas subordonnée à un essai préalable de conciliation.
Décision
55/10 - Action en libération de dette – audience de conciliation